L’Algérie peut devenir une grande puissance industrielle

Humeur n° -
Samedi 11 Février 2017 - Jean-Louis Guigou

À l’occasion de sa mission en Algérie des 8 et 9 février, Jean-Louis Guigou, président de l’Ipemed, a accordé une interview au journal algérien Liberté que nous vous proposons de retrouver ici :

Infatigable militant de la coopération Nord-Sud, Jean-Louis Guigou, président-fondateur de l'lpemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen), revient dans cet entretien sur le petit-déjeuner organisé à Paris sur “l’Algérie de demain”. Il explique son projet de fondation internationale “La Verticale Afrique-Méditerranée-Europe” qui promeut la coproduction.

 

Liberté : L’Ipemed a organisé le 7 février dernier à Paris un petit-déjeuner de la Méditerranée et de l’Afrique consacré à “l’Algérie de demain” et vous effectuez un voyage en Algérie du 8 au 10 février. Voulez-vous nous parler de l’objectif de ce voyage ?   


Jean-Louis Guigou : Je suis obsédé par le rapprochement des deux rives de la Méditerranée. L’objectif de ce voyage s’articule autour d’un même principe. Comment rapprocher les deux rives de la Méditerranée. Comment relier le continent européen et le continent africain  comme des “Soyouz” dans l’espace et faire de la Méditerranée le lieu de la rencontre. L’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, grâce à Obama, sont en train d’être interconnectées. Un vrai “quartier d’orange”.


De l’autre côté, l’Asie, la Chine, le Japon se sont interconnectés avec “les dragons” et “les tigres” pour constituer l’Asean (Association des nations d'Asie du sud-Est). Je pense que l’économie est un facteur de rapprochement. La politique divise et la culture différencie. L’économie est le bon vecteur pour rapprocher les continents et les peuples. La relation entre la France et l’Algérie en Méditerranée est comparable à la relation entre la France et l’Allemagne dans l’Europe. Les deux frères ennemis qui ne peuvent se séparer. Qui se chipotent tout le temps, mais qui pensent à eux tout le temps. Le couple franco-algérien est à la méditerranée ce que le couple franco-allemand est à l’Europe. La seule façon de transcender cette histoire douloureuse est de construire un grand projet collectif. Plus le passé est douloureux, plus l’avenir doit être brillant. Le petit-déjeuner que nous avons organisé à Paris le 7 février sur “l’Algérie de demain” a suscité beaucoup d’intérêt et a été un succès.


180 personnes ont assisté à la rencontre. Il y a la montée en puissance de l’Afrique subsaharienne. C’est le dernier continent à se développer. Et l’Europe connaît l’Afrique. Les pays de la Méditerranée sont l’interface. Si l’Algérie réalise la dorsale d’autoroute transsaharienne, qui ira d’Alger à Lagos (Nigeria), elle aura cent ans de croissance. Il y a également l’industrialisation du nord de l’Afrique. L’Europe se tertiarise et se robotise. Et les délocalisations ne partiront plus en Chine. Elles vont venir en Afrique du Nord.  La région deviendra la grande zone industrielle dans quatre à sept ans. Depuis la crise de 2008, pour des raisons de coût, de transport et de contrôle de la qualité des produits intermédiaires, les entreprises reviennent sur la trop forte segmentation et la fragmentation des chaînes de valeur. Elles privilégient le compactage des chaînes de valeur à leur éclatement. Les entreprises privilégient la régionalisation à la mondialisation. Dans mon imaginaire, le Maghreb peut devenir le Mexique de l’Europe. Le Mexique, grâce au partenariat avec les États-Unis d'Amérique est devenu quatrième producteur mondial de voitures et 2,5 millions d’emplois y ont été créés en dix ans.

 

Dans un de vos articles, vous avez estimé que l’Algérie est à la croisée des chemins…


Les pays d’Afrique du Nord ont entamé leur industrialisation. Dans les exportations du Maroc, de la Tunisie, de l'Égypte, du Liban, de la Turquie et de la Jordanie, les produits manufacturés progressent. Il n’y a que dans deux pays, l’Algérie et l’Arabie saoudite, où les exportations d'hydrocarbures représentent encore entre 80 et 98% du total. Le premier chemin est que cette région, de l’Égypte jusqu’au Maroc, en passant par l’Algérie devienne la Ruhr de l’Europe. Le deuxième chemin est la dorsale d’autoroute transsaharienne. Si l’Algérie réalise la liaison Cherchell-Lagos (Nigeria) avec des latérales en Tunisie, au Tchad, au Mali et au Niger, toute l’Europe industrielle va venir, pour profiter de la main-d’œuvre et de l’énergie et de cet axe majeur de consommation autoroutière. L’Algérie est à la croisée de ces deux chemins. Sur le plan économique vous pouvez devenir une grande puissance industrielle.

 

Vous avez lancé le projet de fondation internationale “La Verticale Afrique-Méditerranée-Europe (AME)”. Comment rapprocher par l’économie les deux rives de la Méditerranée alors que toutes les tentatives qui ont été lancées ont échoué ?


En 1995, on a créé les accords de Barcelone. À l’époque l’Europe était puissante et les pays du Sud étaient sous-développés. L’Europe a établi une relation dominant-dominé. Cet espace euroméditerranéen a vieilli et n’est plus pertinent. Les pays du Sud ne veulent plus être considérés comme des voisins, comme des culs-de-sac de l’Europe. Ils disent qu’ils ne sont pas la marge de l’Europe, mais le pivot entre l’Europe et l’Afrique. D’où l’idée d’une fondation “La verticale Afrique-Méditerranée-Europe”. C’est ce que font l’Amérique et l’Asie. Ce sont des pays du Nord, développés mais vieillissants, qui cherchent à coopérer avec le Sud jeune et émergent. Pour réussir cette intégration régionale Afrique-Méditerranée-Europe par le redéploiement de l'appareil de production et pas seulement par le commerce, trois outils sont nécessaires : une banque intercontinentale, un traité de coproduction et une fondation intercontinentale inspirée de la Cepalc en Amérique (la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes) et de l'Eria en Asie (Institut de recherche économique pour l'Asean et l'Asie orientale). La Cepalc bénéficie de 700 chercheurs et de 40 millions de dollars par an. L'Eria s’appuie sur 15 laboratoires et mobilise 30 millions de dollars. À l’image de ce que les Amériques du Nord et du Sud ont mis en place et de ce que la Chine et le Japon ont instauré avec le Sud-Est asiatique, nous pensons que trois dispositifs sont nécessaires pour accroître l’intégration régionale Nord-Sud. Notre objectif est d’avancer avec la perspective du sommet Union européenne-Afrique à Abidjan en novembre 2017.

 

Dans ce rapprochement, quelle est la place de l’Algérie et du couple Algérie-France ?


Je le répète, le couple franco-algérien est à la Méditerranée ce que le couple franco-allemand est à l’Europe.

 

Comment construire une relation de confiance entre l’Algérie et la France ?


C’est avec des déplacements des travaux. La confiance ne se décrète pas. Elle naît à partir du moment où on partage un grand projet en commun et que naissent des interdépendances. Ce grand projet commun, c’est la fondation “La Verticale Afrique-Méditerranée-Europe”.   

 

Quel serait l’apport de la diaspora algérienne ?


La diaspora algérienne bouge beaucoup en France. C’est par exemple le cas de Karim Zerib qui préside l’Agora des dirigeants franco-algériens. Aussi, la diaspora fortunée et entreprenante de la Silicon Valley multiplie les échanges : elle représente une force inouïe.

 

L’Ipemed envisage d’ouvrir une antenne algérienne dans le futur. Voulez-vous nous donner plus de détails sur ce projet ?


Nous souhaitons travailler essentiellement sur la coproduction. Le moment est venu de passer de l’échange commercial, très infidèle, au partenariat productif.
Les antennes pays, à l’instar d’Ipemed Tunisie, ont plusieurs fonctions, entre autres la réalisation des études qualitatives sur les investissements directs étrangers et des monographies sur les cas exemplaires de coproduction en montrant qu’il y a création d’emploi au Nord et au Sud. Vous trouverez toutes les informations nécessaires sur notre site internet : www.ipemed.coop

 

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