Paris-Alger, l'entente vitale

Humeur n° -
Jeudi 07 Avril 2016 - Roman Rosso, l'Express

 

Depuis 2012, la France soigne l'Algérie, son partenaire indispensable dans le domaine de la lutte antiterroriste. Cette politique crée un climat favorable aux affaires. Mais nombre de blocages demeurent.

 

Article paru dans l'Express le 7 avril 2016

 

Depuis son élection, François Hollande ne cesse de multiplier les gestes symboliques à l'égard de l'Algérie. Deux voyages à Alger, en 2012 et 2015, ont permis de normaliser les relations entre les deux pays, glaciales sous Nicolas Sarkozy. Ses mots, lors de sa visite d'Etat, en décembre 2012, sur les "souffrances infligées" par la colonisation au peuple algérien et sur la torture n'avaient jamais été prononcés.  

Dernier exemple en date: le 19 mars, le chef de l'Etat, souhaitant instaurer la "paix des mémoires", était présent à la commémoration du cessez-le-feu au lendemain des accords d'Evian (1962). Une première sous la Ve République, qui lui a valu d'être critiqué, en France, par des associations de pieds-noirs et de harkis, relayées par le même Sarkozy, mais de se voir apprécié de l'autre côté de la Méditerranée. 

On n'échappe pas à son passé. Cet effort de réparation n'est pas seulement lié aux liens personnels que le président entretient avec ce pays où il a effectué son stage de l'ENA. Ce renouveau - l'entente était déjà bonne sous Jacques Chirac - relève aussi d'une approche pragmatique. Depuis quelques années, la France et l'Algérie font face à un ennemi terroriste commun qui prolifère dans la bande sahélienne, ainsi que dans la Libye voisine, où s'installent des milliers de djihadistes du groupe Etat islamique

Alger, rempart contre le terrorisme

Vu de Paris, Alger est le seul rempart dans la région. Il faut en préserver la stabilité, en dépit d'un régime opaque dirigé par un président malade et absent, Abdelaziz Bouteflika. D'autant que, sur le plan économique, ce grand pays, beaucoup trop dépendant de la vente d'hydrocarbures, est à un tournant décisif pour son avenir. Pour la France, les 40 millions d'Algériens - 55 millions en 2050 - représentent un enjeu géopolitique majeur, ainsi qu'un marché potentiel considérable.  

"Economie et sécurité sont liées, décrypte Mansouria Mokhefi, spécialiste du Maghreb à l'Institut français des relations internationales. L'Algérie a bien intégré que ses interlocuteurs comptaient énormément sur son implication et qu'en retour elle pouvait obtenir d'eux des investissements." C'est le sens du ballet ministériel qui se déroule de part et d'autre de la Méditerranée. Pas un mois, ou presque, sans qu'un ministre français ou algérien ne rende visite à son homologue. 

Manuel Valls à Alger

Le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll, dont c'était le sixième déplacement le 24 mars, travaille notamment à la mise en place d'une véritable filière bovine et ovine, alors que le pays importe aujourd'hui toute sa nourriture. "Pratiquement tous les domaines de l'action gouvernementale sont concernés", indique-t-on à Matignon.  

Des "formats" diplomatiques ont été instaurés, afin de faire avancer les dossiers. Les 9 et 10 avril aura ainsi lieu la troisième réunion du comité intergouvernemental de haut niveau algéro-français: Manuel Valls, accompagné d'une dizaine de membres du gouvernement, rencontrera à Alger le Premier ministre, Abdelmalek Sellal. Jean-Louis Levet, chargé de la coopération industrielle et technologique franco-algérienne, a été chargé d'identifier les projets prometteurs, tandis que l'ex-secrétaire général de l'Elysée Jean-Louis Bianco, à la suite de Jean-Pierre Raffarin, démine les dossiers sensibles et les contentieux. 

Peu à peu, quelques projets sortent de terre, souvent après de longues tractations. Renault, dont les activités avaient été nationalisées après l'indépendance, a réussi à ouvrir une usine de taille modeste à Oran, en décembre 2014, afin de produire la Symbol, une voiture destinée aux marchés local et régional. Quelques mois plus tôt, le leader du médicament Sanofi a posé la première pierre de sa future usine à Sidi Abdellah.  

Des chantiers raflés par la Chine et la Turquie

Avec près de 40 000 emplois directs, les quelque 400 entreprises françaises - pour 700 au Maroc et 1250 en Tunisie - restent le premier employeur étranger du pays, mais leur part de marché n'a cessé de baisser ces quinze dernières années. La France, misant beaucoup sur les exportations, notamment automobiles, est passée à côté des grands chantiers d'infrastructures (routes et hôpitaux), raflés par la Turquie et, surtout, par la Chine, moins chère, devenue le premier fournisseur du pays. 

Les besoins, toutefois, demeurent énormes. "Le moment est venu de repenser notre stratégie en développant la colocalisation, au lieu de la délocalisation, comme les Japonais l'ont fait avec les dragons du Sud-Est, souligne Jean-Louis Guigou, président de l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen. Les entreprises doivent avoir un pied au Nord, un pied au Sud. Ainsi, le client devient un partenaire." 

L'Algérie doit s'affranchir de sa manne pétrolière

La diversification de l'économie algérienne est vitale, soulignent tous les experts. Jusqu'à présent, 1% seulement des recettes algériennes provient du secteur privé. Les hydrocarbures et leurs dérivés représentent plus de 95% des revenus extérieurs du pays, avec lesquels le pouvoir, obscur et clanique, achète la paix sociale à coups de subventions tous azimuts. Ces recettes ont fondu de moitié l'an dernier à cause de la chute du cours du baril. Tandis que les ressources de pétrole s'épuisent. 

Malgré les importantes réserves de change dont il dispose, le gouvernement a été obligé, en 2016, de prendre des mesures d'austérité, de diviser par deux les importations d'automobiles ou d'augmenter le prix des carburants, de l'électricité ou du gaz. "Les autorités algériennes ont pris conscience que le pays devait s'affranchir de sa manne pétrolière et cibler les subventions qu'elle octroie, souligne Abderrahmane Mebtoul, un économiste algérien. Est ce que cela va se traduire en actes? Tous ceux qui profitent de la rente ne vont pas se laisser faire."  

Des lenteurs bureaucratiques

S'il veut attirer les investisseurs, le gouvernement devra aussi assouplir la règle qui contraint un actionnaire étranger à ne pas posséder plus de 49 % des parts d'une société algérienne. Les lenteurs bureaucratiques, la corruption, le poids du secteur informel et le jeu politique illisible de la succession du président Bouteflikarestent de puissants facteurs bloquants. "C'est un no- go pour moi", confie le patron d'un important fonds d'investissement. 

Dans ce climat, la diaspora algérienne en France, qui compte de nombreux jeunes créateurs d'entreprises et ingénieurs, représente un atout qui n'a pas échappé à François Hollande. "Le président est le seul qui s'en préoccupe, souligne l'historien Benjamin Stora. La gauche est en chute libre, parce que les minorités s'abstiennent. Demain, elles peuvent de nouveau voter." Un autre politique semble l'avoir saisi: Alain Juppé, favori de la primaire à droite, était lui aussi à Alger il y a peu. 

 

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