"Positiver la Méditerranée ": Discours de Jean-Louis GUIGOU lors de la 1ère édition des Rencontres Internationales de la Méditerranée

Humeur n°213 -
Lundi 29 Octobre 2018 - Jean-Louis GUIGOU

Les 20 et 21 septembre 2018 s'est tenue la 1ère édition des Rencontres Internationales de la Méditerranée, organisées par La Tribune au Conseil Régional Occitanie / Pyrénées-Méditerrané à Toulouse. 

Vous trouverez ci-dessous l'intégralité du discours de Jean-Louis GUIGOU, Président de l'IPEMED :

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Les Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (et les pays africains) sont en pleine turbulence et métamorphose. Certains éléments sont positifs, d’autres moins. Des avancées et des régressions ! Des convergences, mais aussi des divergences ! des espoirs et des craintes ! Nombreux, très nombreux sont les commentateurs, éditorialistes, tous médias confondus, qui noircissent le tableau à dessein car ils sont piégés par l’actualité immédiate des attentats, des crises avec moult détails des atrocités commises par une minorité ; ce qui suscite plus d’intérêt que la lente et discrète émancipation des "masses" des rives Sud et Est de la Méditerranée.

L'IPEMED prend le contrepied de ces informations à chaud et tente de positiver la Méditerranée en se positionnant sur le long terme. Ce faisant, il propose des stratégies pour accélérer le rapprochement, par l’économie, des trois rives (Nord-Sud et Est) de la Méditerranée.

Nicolas Sarkozy, alors qu’il était Ministre de l’Intérieur, en présence d’Henri Guaino me posa la question suivante : « Pourquoi êtes-vous optimiste sur l’évolution des Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ? ». Je lui ai répondu : « le capital est à l’œuvre ».

Dans ce contexte, lié à l’économie, il est alors possible de répondre à ce triple questionnement :
- Pourquoi ;
- Comment ;
- Quels sont les partenaires avec qui positiver sur la Méditerranée ?

1- Pourquoi positiver la Méditerranée ?
Existe-il sur la longue période des tendances lourdes à l’œuvre et susceptibles de rapprocher les trois rives ?
Deux tendances lourdes sont à la manœuvre :

La première constituée par « la régionalisation de l’économie ». Il s’agit du retour de l’importance de la proximité géographique. C’est le compactage des chaînes de valeur qui passent de « mondiales » à « régionales ». Dans le monde incertain qui est le nôtre, la fragmentation excessive des chaînes de valeur, constitue un contresens historique.
En se régionalisant, les chaînes de valeur deviennent plus performantes avec la réduction des coûts de transport, le contrôle de la qualité des entrants et l’élimination des risques monétaires.

Les chaînes de valeur s’organisent entre pays voisins incluant souvent un pays du Nord (Etats-unis- Japon – Chine) mâture et vieillissant et un pays du Sud voisin (le Mexique – le Nord de l’Afrique et les pays du Sud-Est asiatique). Ainsi se dessinent progressivement trois grandes régions Nord/Sud intercontinentales, « trois quartiers d’orange » (1), avec le bloc des deux Amériques, le bloc des pays asiatiques et le dernier bloc Europe-Méditerranée-Afrique.

Avec l’émergence rapide et en profondeur de l’Afrique (2), la rive Sud de la Méditerranée devient le pivot entre l’Europe et l’Afrique. Le Maroc creuse son sillon en Afrique sub-saharienne, de même l’Algérie avec la transaharienne, ainsi que l’Egypte avec le Canal de Suez rénové, et la grande zone de libre échange, la Tripartite.

De marginale et « voisine » de l’Europe, la Méditerranée occupe à nouveau un rôle pivot et central. Fernand Braudel parle « d’Economie monde de la Méditerranée ».

Ainsi se met en place, un axe vertical Afrique-Méditerranée-Europe (AME). C’est également ce que pense Fathallah Oualalou en déclarant : « il est de notre intérêt, nous Marocains, Maghrébins, Sud-Méditerranéens, Arabes et Africains de soutenir tous les projets d’intégration dans nos régions. Il est opportun dans ce cadre de promouvoir le grand projet de la Verticale (Afrique-Méditerranée-Europe) parce qu’il accorde une place centrale à la Méditerranée, ce qui permettra à cet ensemble dans sa globalité d’entrer dans des rapports équilibrés avec l’espace Asie-Pacifique et l’espace Amérique-Atlantique-Pacifique (le concept de la Verticale a été mis en évidence par les travaux que mène l’Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen (IPEMED) ».

Ce scénario est d’autant plus crédible plus qu’une deuxième tendance est à l’œuvre à savoir l’industrialisation de la rive Sud de la Méditerranée du Maroc à l’Egypte.
Les pays de la rive Sud de la Méditerranée sont tous – hormis la Libye et l’Algérie exportateurs de pétrole – dans une phase d’industrialisation. Ces pays ont longtemps été importateurs. Ils sont devenus producteurs et deviennent exportateurs – les balances commerciales du Maroc, Tunisie, Egypte, Jordanie, Turquie…montrent que ce qui domine c’est l’exportation de machines-outils, d’équipements mécaniques d’aéronautique. Le Maghreb devient le "Mexique de l’Europe".

La tendance est irréversible. Il faut l’accélérer. Les chinois contribuent à la réalisation de cette industrialisation.

2. A partir de ces deux tendances économiques puissantes et de long terme (la régionalisation de l’économie et l’industrialisation du Nord de l’Afrique) : comment accélérer et positiver la Méditerranée ?

Après des siècles de domination, mensonges, mépris, et de maitien des économies de rente, les trois rives de la Méditerranée doivent changer :
- Changer les relations économiques et passer de relations dominées par le commerce à court terme (et les parts de marché) à des relations de coproduction entraînant la redistribution, Nord/Sud de l’appareil de production ;
- Changer de méthodes et passer de politiques « top down » à des politiques « bottom-up » en partant des besoins locaux ;
- Changer de comportement en passant – au Nord – d’un esprit de conquête à la volonté de partage – et au Sud d’un comportement de soumission à une attitude de responsabilisation ;
- Enfin changer d’acteurs et ne plus concevoir des relations exclusives entre Etats-Gouvernements et Institutions, mais des relations impliquant davantage la société civile dans sa diversité et sa richesse.

3. Avec qui positiver la Méditerranée ?

Les Etats n’ayant plus le monopole des relations internationales, ce sont les personnes de la société civile (les femmes, les jeunes, les entrepreneurs, les diasporas et les collectivités locales) qui sont les acteurs du rapprochement des trois rives de la Méditerranée.

Avec la digitalisation des échanges, les Etats ne peuvent plus contrôler la frénésie des échanges économiques, culturels, sociaux, scientifiques entre des pays si voisins et néanmoins si différents.

Les enquêtes renouvelées de la fondation Anna Lindh montrent l’étonnante convergence sur les valeurs universelles (émancipation, démocratie, biens collectifs…).

Ainsi sur la longue période, ô combien nécessaire pour comprendre la Méditerranée selon F. Braudel, il est possible de positiver la Méditerranée.

Les turbulences actuelles compréhensibles n’arrivent pas à marquer les mouvements profonds – économiques, d’abord, mais aussi sociétaux et culturels qui permettent de positiver la Méditerranée.

 

(1) Jean-Louis Guigou : « les quartiers d’Orange » article du Monde du 27 mai 2002
(2) Jean-Michel Severino « Entreprenante Afrique – Odile Jacob 2016
(3) Fathallah oulalalou – « La Chine et Nous : répondre au second dépassement » - Editions la Croisée des Chemins 2016
(4) Emmanuel Macron – Conférence des Ambassadeurs – 29 Août 2018

 

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