Pour un renouveau de la santé en Méditerranée. Le cas du médicament.

Humeur n° -
Jeudi 10 Juillet 2014 - Par Macarena Nuño, chef de projet prospective et capital humain à Ipemed
Depuis les printemps arabes, les populations des pays méditerranéens expriment avec force une demande croissante pour un meilleur accès aux soins de qualité, à moindre coût. Les pouvoirs publics doivent répondre à ces attentes en mettant en place les réformes structurelles nécessaires. Et cela dans un contexte difficile caractérisé par des transitions politiques, économiques, mais aussi sanitaires.  

Les pays du Maghreb font face à une situation complexe. Ils doivent faire évoluer leurs systèmes de santé à un moment où plusieurs transitions se télescopent. Transition démographique liée à l’accroissement de la population du fait de son vieillissement et de l’allongement de l’espérance de vie ; transition épidémiologique qui les oblige à faire face à la montée des maladies non transmissibles, impliquant des traitements plus compliqués et coûteux, sans pour autant négliger la fin de cette transition (taux élevé de mortalité infantile et maternelle) et la surveillance de certaines maladies transmissibles qui perdurent sous forme de flambée épidémique ; transition organisationnelle, liée à la nécessaire réorganisation du système de santé afin de continuer les actions traditionnelles (programmes de vaccination), tout en mettant en place une approche intersectorielle basée sur les déterminants de la santé ; enfin, transition démocratique car les usagers et les professionnels de santé souhaitent être consultés et associés au processus de réforme.  

L’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont lancé, à cet effet, différentes initiatives (Colloque international sur les politiques de santé en janvier 2014, Conférence nationale sur la santé en 2013, Dialogue sociétal sur les politiques, les stratégies et les plans nationaux de santé en 2014), selon un procédé plus au moins participatif et efficace, qui ont toutes le même objectif : repenser le système de santé.

Une industrie du médicament désormais aux normes internationales
Les défis sont considérables et les moyens financiers limités (la dépense totale en santé est, selon l'OMS en 2014, de 4,4% PIB en Algérie, 6,3% au Maroc, 7% en Tunisie, 11,3% en Allemagne, 9,3% en Espagne). Les pays doivent donc redoubler d’efforts pour imaginer des politiques réalistes et pertinentes par rapport aux besoins de la population, qui tiennent compte des moyens disponibles.
Une fois le cadre général posé, ils gagneraient à exploiter les complémentarités existantes entre les pays du Maghreb et à développer des coopérations avec les pays du Nord de la Méditerranée.  

Un secteur central dans le système de santé dans lequel ces complémentarités existent est celui du médicament 

Comme le montre le rapport ("Vers un marché du médicament maghrébin", Construire la Méditerranée, 2013, M. W. Zerhouni, L. A. El Alami El Fellousse) réalisé par IPEMED, malgré une organisation qui diffère d’un pays à l’autre, la problématique du médicament est identique au trois pays : faciliter l’accès aux médicaments tout en maîtrisant leur coût et développer la production nationale, notamment du générique. En effet, la part allouée aux médicaments dépasse le tiers des dépenses globales de santé de ces pays (44% en Tunisie en 2010) et elle augmente chaque année.  

Des efforts ont été consentis. Dans un temps relativement court, ces pays ont réussi à développer une industrie aux normes internationales (au Maroc et en Tunisie), leur permettant de subvenir aux besoins d’une partie de la population (65% au Maroc, 50% en Tunisie et moins de 40% en Algérie). Un cadre législatif et réglementaire existe même s’il a besoin d’être réactualisé, notamment en Algérie, et des organismes de régulation et de contrôle sont opérationnels. Des actions visant à faire baisser le prix des médicaments sont également en cours (Maroc).

Vers une plus grande intégration des marchés du médicament

Mais malgré ces améliorations, des obstacles persistent : la taille des marchés nationaux, l’existence d’une multitude d’unités de production de petite taille, les lourdeurs administratives, la faiblesse de la R&D et de sa dissémination auprès du système productif, la faiblesse de la politique incitant à la production du générique, une certaine réticence des professionnels et des usagers envers ces médicaments. L’enjeu est de taille et le sujet sensible car le médicament n’est pas un produit comme les autres. Il est porteur d’une dimension sociale qui doit-être prise en compte à l’heure d’imaginer la politique à mettre en place.  

Dans ce contexte, une plus grande intégration des marchés à travers des actions d’achat commun des médicaments, une harmonisation des procédures d’autorisation de mise sur le marché et des logiques de coproduction Nord-Sud pourraient permettre une bonne articulation entre importation et production locale facilitant l’accès aux médicaments à un coût moindre. D’autres actions sont également envisageables comme l’établissement d’une liste maghrébine des médicaments essentiels ou d’une guide thérapeutique commun.  

Les pouvoirs publics ont pris la mesure de l’intérêt d’une coopération maghrébine, voir méditerranéenne, dans le domaine de la santé publique. En témoignent les dernières déclarations des ministres des Affaires étrangères du « Dialogue 5+5 (1) » et l’organisation prochaine de la première réunion du « Dialogue 5+5 » consacrée à la santé sous l’impulsion du ministère de la Santé marocain.  Il ne leur reste qu’à passer à l’action.  

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(1)- Forum sous-régional lancé en 1990 regroupant les pays de la Méditerranée occidentale (Portugal, Espagne, France, Italie, Malte, Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye). Il a pour objectifs de favoriser le dialogue politique et développer les coopérations économiques.

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