Turquie: la machine se grippe

Humeur n° -
Mercredi 19 Juin 2013 - Agnès Levallois
La place Taksim à Istanbul, le 6 juin.
Après dix années de développement économique qui font rêver les Européens, des fissures politiques et économiques apparaissent. Face aux revendications d’une partie de la population, le gouvernement apparaît divisé et semble hésiter sur la voie à prendre.

Que nous disent les événements qui se déroulent en Turquie? Faut-il y voir la remise en question du gouvernement dirigé par l’islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan ou bien la contestation face à un pouvoir sûr de lui et incapable d’accepter la moindre critique? Probablement un mélange des deux car il serait réducteur d’apporter une réponse simpliste à une situation qui ne l’est pas. En dix ans, le chef de l’AKP a remporté trois élections législatives et deux référendums, s’est lancé dans un processus de paix historique avec le parti kurde du PKK, visant à mettre un terme à un conflit qui a fait près de 40000 morts depuis 1984. Il détient l’ensemble des pouvoirs et a même réussi à «gérer» l’armée très hostile au parti islamo-conservateur. La Turquie a connu un remarquable développement économique avec des taux de croissance, supérieurs à 5% sur les dix dernières années, qui font rêver les pays européens, un tissu économique industriel dynamique, performant et flexible. De nombreuses réformes structurelles ont été mises en œuvre dans la perspective de son adhésion à l’UE, apportant stabilité et transparence, et améliorant de ce fait le climat des affaires.

Mais la machine se grippe: le rayonnement régional incarné par la politique de «zéro problème avec ses voisins» est mis à mal par la crise syrienne, et les attentats sur le sol turc inquiètent une partie de la population, sans oublier les alévis et les laïcs qui craignent une islamisation de la société. Face à ces défis l’AKP ne montre pas un front uni. Le Premier ministre adopte une attitude ferme, confirmant son virage autoritaire pris depuis quelques années, quand le président de la République Abdullah Gül présente ses excuses pour les violences policières.

Quelle tendance va l’emporter? M. Erdogan ne doit pas s’enfermer dans un déni des réalités en balayant d’un revers de main les revendications des manifestants qui rejettent un capitalisme débridé avec la floraison de centres commerciaux et qui craignent une remise en cause de la laïcité, même si ces revendications sont minoritaires et qu’il bénéficie encore du soutien d’une majorité de ses concitoyens. Disposer de l’ensemble des pouvoirs rend aveugle…

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