Youssef Amrani : L’UPM doit pouvoir accompagner la transition démocratique

Humeur n° -
Lundi 21 Novembre 2011
Youssef Amrani,  Secrétaire Général de l’UpM.
Youssef Amrani,  Secrétaire Général de l’UpM, est venu à Paris rencontrer le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé. Au cours d’un entretien exclusif accordé à Ipemed, il nous fait part de son ambition pour les relations euro-méditerranéennes qui constituent, selon lui, « une nécessité politique ».

Quelle est votre vision de l’Union pour la Méditerranée ?

L’UpM doit tenir compte du nouveau contexte qui est celui de la rive nord de la Méditerranée : d’une part, cette zone traverse une crise économique et financière et, d’autre part, le processus de révision de la future politique européenne de voisinage permettra de mettre en oeuvre de nouveaux instruments performants. L’UpM doit également prendre en considération les réformes et la transition démocratique en cours dans le Sud. Ces évolutions montrent que nos sociétés ont autant besoin d’ouverture économique que de démocratie.
Aujourd’hui l’UpM , en tant que cadre régional euro-méditerranéen, peut renforcer son action et mettre en place les instruments adéquats à partir des acquis du sommet de Paris (1).

Quels peuvent être ces nouveaux instruments ?

Nous devons mobiliser des fonds substantiels afin d’accompagner le développement socio-économique des pays du Sud de la Méditerranée.
Il faudrait utiliser tous les outils et mécanismes nécessaires inspirés des exigences communautaires en faveur des pays qui n’ont pas de perspectives politiques d’adhésion à l’UE.
Aujourd’hui l’Union européenne a mis à la disposition des pays du Sud des outils performants qui peuvent permettre à ceux qui le souhaitent de se rapprocher de l’UE tout en restant dans une logique de différenciation. Les partenariats public-privé sont indispensables pour promouvoir des projets et trouver des financements. La crise que traverse
l’Europe peut être une opportunité pour les entreprises du Nord de la Méditerranée.
La période actuelle leur offre des possibilités, les pays du Sud et de l’Est étant en pleine croissance. Je pense notamment à la Libye et je souhaite qu’elle nous rejoigne rapidement. Dernièrement s’est réunie à Tunis la Task force. De nombreuses entreprises françaises et espagnoles se sont déplacées pour chercher de nouveaux marchés. Il
faut investir dans les pays du Sud et les pays du Sud doivent homogénéiser leur législation et leur réglementation afin de créer un environnement propice aux affaires. Tout l’enjeu est là !

Aujourd’hui, le contexte est favorable pour une nouvelle UpM…

L’Europe réfléchit à sa nouvelle politique de voisinage dans ses deux dimensions : la bilatérale et la régionale.
L’UpM peut travailler efficacement dans le cadre de la politique régionale de voisinage qui englobe les politiques sectorielles dans les domaines de l’énergie, des transports et autres.
L’objectif est réellement de mettre en oeuvre des projets. Les gens veulent des actions qui auront un impact sur la croissance, les créations d’emplois, et qui intègreront les nouveaux acteurs. Ce dernier
point est essentiel : le partenariat euro-méditerranéen est un partenariat entre gouvernements, mais il ne faut pas oublier les parlements – le Parlement européen est devenu un acteur fondamental –, les représentants de régions, les jeunes et les femmes. Aujourd’hui l’Europe a autant besoin de Méditerranée que la Méditerranée a besoin d’Europe.

L’ouverture sur la Méditerranée est-elle une nécessité pour les pays européens ?

Si l’Europe se renforce vers l’Est, elle a aussi besoin de l’espace méditerranéen qui compte aujourd’hui 800 millions de personnes. C’est un marché important pour faire face à la concurrence des États-Unis et de la Chine. L’Europe ne peut plus croître, elle a donc besoin de cette ouverture.

Comment les sociétés peuvent-elles s’approprier ce partenariat ?

Il faut avant tout expliquer ce qu’est ce partenariat. Beaucoup pensent que c’est une coquille vide, un bébé mort né. En y réfléchissant il a été prémonitoire, car personne en 2008 ne pensait qu’il y aurait des transitions démocratiques dans le monde arabe. Aujourd’hui cette région bouge, évolue. Il faut donc pouvoir l’accompagner dans cette phase. Il faut attendre de connaître qui seront les nouveaux acteurs tout en lançant des projets. Nous travaillons actuellement à la mise en place d’une conférence sur le soutien au développement et l’investissement et l’appui aux pme. De nombreux jeunes sont porteurs de projets. Nous sommes là pour les aider à les concrétiser dans leurs pays d’origine. Mais ils doivent toujours regarder vers l’Europe afin de conquérir des marchés et de ne pas être obligés d’émigrer. La politique européenne de voisinage peut permettre aux pays du Sud de la Méditerranée d’accéder aux marchés européens sans oublier la quatrième liberté, celle des mobilités.

Mais la politique des visas est un obstacle…

Il faut une action concertée entre les différents acteurs. On doit évidemment lutter contre l’immigration clandestine, les réseaux mafieux et surveiller les frontières, mais on doit également encourager la mobilité, notamment celle des étudiants et des hommes d’affaires. Il faut davantage de solidarité pour que les échanges puissent se réaliser. Cette question migratoire devrait être appréhendée conformément à l’esprit de la Conférence de Rabat qui privilégie responsabilité partagée, solidarité et co-développement.

Vous avez déclaré que l’UpM devait favoriser l’intégration régionale, mais que peut-elle faire ?

Oui, je considère que les pays du Sud doivent travailler à l’intégration régionale et que l’UpM doit la favoriser.
L’Union pour la Méditerranée dispose aujourd’hui de toute la légitimité et des instruments nécessaires pour promouvoir des projets et des intérêts convergents pour tous ceux qui ont une réelle volonté politique de travailler ensemble. L’accord d’Agadir, qui regroupe maintenant cinq pays, avec la Palestine qui vient d’y adhérer, a permis une augmentation des échanges commerciaux et a encouragé les industries à forte valeur ajoutée. Il en va de même de l’Union du Maghreb arabe, que nous encourageons car les pays du Maghreb négocieront mieux avec leurs partenaires s’ils sont unis. Plusieurs enceintes travaillent sur le devenir de la Méditerranée, le Partenariat de Deauville, le Forum pour l’avenir, avec l’objectif de créer des synergies entre elles et des complémentarités, d’accompagner la démocratie et d’encourager les sociétés civiles.

Où en êtes-vous de la réflexion sur la gouvernance de l’UpM ?

Madame Ashton y réfléchit pour mettre en oeuvre les mécanismes du Traité de Lisbonne côté Nord. Ce ne sera plus un pays qui co-présidera mais la Commission et le Service extérieur européen. En
revanche, côté Sud, ce sera un pays car il n’existe pas d’instance similaire.
L’Égypte a décidé de se retirer de la coprésidence fin décembre et des consultations ont lieu actuellement entre États.

Lors de la conférence de presse avec Alain Juppé, vous avez insisté sur les projets que promeut le secrétariat…

Oui, il faut être concret : créer une usine de dessalement d’eau pour Gaza, des réseaux de transport et d’énergie, dynamiser les flux d’investissement à travers des projets ayant un impact sur les créations d’emplois. Je souhaite promouvoir l’initiative emploi pour les jeunes et qu’elle soit portée, entre autres, par des partenaires efficients tels que l’Office méditerranéen de la jeunesse. Toute action en direction
des jeunes et des femmes est fondamentale.

Êtes-vous optimiste sur les transitions que connaissent les pays du Sud de la Méditerranée ?

En tant que secrétaire général de l’UpM, je suis optimiste même si les transitions seront longues et difficiles pour certains pays. En tous cas les processus démocratiques sont irréversibles.
Chaque pays est appelé à créer son propre modèle politique qui intégrera les spécificités nationales et les valeurs universelles. La démocratie est un choix et les pays doivent évoluer selon leur propre rythme. Si l’on veut partager des valeurs communes et une prospérité avec l’Europe, on doit construire ensemble un nouveau partenariat. Aujour d’hui il faut une culture de compromis, d’accord politique
et de respect de l’autre, passer d’un système imposé - une dictature - à un système participatif où tout le monde trouve sa place. Il faut construire un avenir sur une base commune où tout le monde s’exprime dans un cadre apaisé.
Il ne peut pas y avoir de développement économique sans développement politique. Certains pays européens ont commis l’erreur de miser uniquement sur les performances économiques des pays
du Sud en faisant abstraction de la situation politique. Enfin, le règlement de la question israélo-palestinienne contribuera à améliorer les conditions pour construire notre espace Méditerranée commun
de stabilité et de prospérité partagée.




Propos recueillis par Agnès Levallois

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(1) Juillet 2008.

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