N°17 > Les migrations peuvent-elles compenser la faiblesse démographique de l’Europe ?

- Hervé LE BRAS

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A partir du constat de la diminution de la population de l’Union Européenne et de la forte croissance de celle de l’Afrique, on conclut souvent à l’imminence d’importantes migrations du sud vers l’UE. C’est une idée ancienne et pour tout dire simpliste, inspirée par une comparaison entre la démographie et la météorologie.

Pour ceux qui ne craignent pas les « invasions », les migrations seraient à encourager car elles pourraient compenser le vieillissement actuel et futur des populations européennes. L’arrivée d’étrangers compenserait le risque de diminution de la population et de la population active européennes qui semble se profiler au vu de la faible fécondité de l’Europe (en moyenne, 1,5 enfant par femme). Surtout, cela permettrait de lutter contre le vieillissement de la population particulièrement inquiétant pour l’équilibre des régimes de retraite. Augmenter le nombre d’actifs, c’est en effet augmenter le nombre de cotisants sans changer celui des bénéficiaires car les migrants sont jeunes dans leur immense majorité.

Lors du déclenchement de la crise des réfugiés, on a d’ailleurs supposé qu’Angela Merkel avait facilité l’accueil des Syriens et d’autres réfugiés pour cette raison. Il est possible qu’une telle opportunité soit entrée en ligne de compte dans le choix politique de la chancelière, mais cela n’a pas été le cas dans des pays où la situation démographique est la même, voire pire, Hongrie et Slovaquie par exemple. Ceci dit, les difficultés qu’ont rencontrées les migrants pour parvenir en Allemagne ont sélectionné, de fait, les plus éduqués et les plus fortunés. Si un million d’entre eux sont parvenus en Europe, cinq millions plus pauvres vivent encore dans des camps ou en condition précaire en Turquie, au Liban et en Jordanie et huit millions sont des réfugiés internes dans leur propre pays selon le HCR. Indépendamment de la quantité de migrants, la qualité en termes de capital humain n’est donc pas en jeu. Ceci correspond à une tendance générale des migrations vers les pays développés qui sont de plus en plus le fait de jeunes éduqués. Ainsi, sur les 260 000 personnes qui ont reçu une carte de séjour en France pour leur première entrée en 2016, 65 % avaient l’équivalent du bac ou un diplôme universitaire.

La question porte donc seulement sur la quantité : est-ce que l’immigration est susceptible d’enrayer la décroissance projetée de la population totale de l’Europe, de sa population active et de contrarier les effets du vieillissement ?

La présente étude tente de tester ces idées par l’absurde pour reprendre le terme employé dans les démonstrations mathématiques, c’est-à-dire en simulant les conséquences quantitatives de l’immigration et plus exactement, en évaluant le nombre d’immigrants nécessaires pour maintenir à terme la population totale, ou la population active, ou pour enrayer le vieillissement démographique de l’Union européenne.

L’article commence par montrer l’évolution projetée des populations de l’Union européenne et de l’Afrique d’ici à 2050, dans l’hypothèse d’une prolongation des migrations observées au cours de la dernière décennie avant d’établir les variantes migratoires nécessaires au maintien jusqu’en 2050 de la population totale de l’Union européenne (UE), de sa population active, et enfin du nombre moyen d’inactifs âgés par actif. Dans de telles projections, on suppose qu’à part la migration, les autres paramètres demeurent constants, en particulier les taux d’activité par âge. Or ils peuvent varier et permettre de réduire le vieillissement de la population comme on le constatera in fine.

La migration est une réponse aux problèmes démographiques, mais on verra qu’elle n’est ni la seule, ni la plus efficace. De même, il va de soi que la question des migrations n’est pas uniquement une affaire de comptabilité économique et démographique, et qu’elle pose des problèmes politiques graves avec la montée des populismes, qui ne seront pas abordés dans le présent article.

 

Auteur :

Hervé LE BRAS, Démographe, directeur d’études à l’INED, enseignant à l’EHESS.

S O M M A I R E

  • Le point de départ : le rapport des Nations Unies sur les « migrations de remplacement »
  • Périmètre géopolitique de l’analyse
  • Les migrations du Sud peuvent-elles compenser la faiblesse démographique de l’Europe ?
  • - Le constat démographique
  • - Scénario 1 - Migrations nécessaires pour maintenir l’effectif de la population de l’UE
  • - Scénario 2 - Migrations nécessaires au maintien de la population active de l’UE (sans changement des profils de l’activité de chaque pays)
  • - Scénario 3 - Migrations nécessaires pour contenir le vieillissement de la population de l’UE
  • - Scénario 4 - Migrations nécessaires au maintien de la charge des actifs à son niveau actuel
  • - Scénario 4 avec prise en compte de l’accroissement de l’activité féminine
  • - Scénario 4 avec prise en compte d’une augmentation générale de la durée d’activité (alignement en 2050 de chaque pays sur la Suède)
  • - Creusement des différences entre pays de l’UE
  • Synthèse : l’impossibilité de « migrations de remplacement » ?
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